mercredi 23 mai 2012

Orbitopathie endocrinienne d’origine thyroïdienne

CAS CLINIQUE
Un patient âgé de 49 ans est admis en urgence pour dyspnée
majeure. À l’examen clinique on observe une
exophtalmie bilatérale importante entravant l’occlusion
palpébrale (figs. 1 et 2). Dans les antécédents on note :
une cardiomyopathie ischémique, une BPCO tabagique,
une hernie hiatale, une kératite herpétique avec ulcère
cornéen, et une hyperthyroïdie diagnostiquée 5 mois plus
tôt et traitée par Strumazol®, 10 mg, 4x/jour.
La biologie à l’admission fait apparaître une hypothyroïdie
sévère (TSH : 67 μU/ml).
Le scanner montre une hypertrophie de l’ensemble des
muscles oculo-moteurs avec infiltration de la graisse
orbitaire (figs. 3 et 4). Malgré l’instauration d’un traitement
visant à corriger l’hypothyroïdie, le patient développe
un oedème papillaire en aggravation rapide avec
perte de l’acuité visuelle ainsi qu’une augmentation de
l’exophtalmie. 

Quel est votre traitement ? 
       
Figure 1 : Aspect clinique de la face.
 
Figure 2 : Scanner en coupe axiale. 

REPONSE
Ce patient présente une orbitopathie endocrinienne d’origine
thyroïdienne.
Ces orbitopathies sont associées à un dysfonctionnement
hormonal et à des perturbations auto-immunitaires
thyroïdiennes. Elles accompagnent habituellement une
hyperthyroïdie mais se rencontrent également en cas
d’hypo- voir même d’euthyroïdie [1, 2].
La survenue éventuelle d’une hypothyroïdie peut être
un facteur aggravant majeur de l’orbitopathie, illustrée
dans le cas clinique. L’orbitopathie évolue au cours du
temps selon un mode « exacerbation/rémission » qui ne
semble pas influencé par le traitement médicamenteux de
l’atteinte thyroïdienne.
Classiquement, le traitement de l’orbitopathie endocrinienne
comporte un volet médical et un volet chirurgical
[3, 4]. Le volet radiothérapique est quant à lui très controversé
dans de récentes études [5]. Le traitement médical
consiste en l’administration par voie systémique de corticoïdes
pendant une durée de 30 à 60 jours, qui apporte le
plus souvent une amélioration significative des symptômes.
L’examen ophtalmologique détermine quant à lui
l’urgence éventuelle d’un acte chirurgical ; compression
du nerf optique au cours d’une phase inflammatoire
aiguë, ulcération cornéenne secondaire à l’exophtalmie…
[6]. Le plus habituellement le traitement chirurgical intervient
au cours de la période stable de l’orbitopathie et vise
à corriger les complications cicatricielles fibreuses. Une
première étape consiste en une décompression orbitaire
osseuse qui corrige l’exophtalmie, l’étape suivante permet
la correction de la mobilité oculaire [7]. Vu la gravité de la
symptomatologie clinique de notre patient, un traitement
à base de corticoïdes par voie systémique à la dose de
1 gr/jour a été instauré mais sans aucune amélioration
significative. Devant la persistance de l’oedème papillaire
et la diminution progressive de l’acuité visuelle, un traitement
chirurgical a été programmé. Une décompression
orbitaire osseuse bilatérale par voie cutanée avec effondrement
du plancher orbitaire ainsi que du mur latérointerne,
associée à une lipectomie a été réalisée. Une
amélioration rapide et très satisfaisante des symptômes a
été observée dans les jours suivants. Le patient a bénéficié
en outre d’une rééquilibration de son traitement thyroïdien.
Habituellement, à long terme, la tendance se fait
vers une réduction et une stabilisation des manifestations
cliniques orbitaires [1].

Le´sions pe´ri-apicales multiples en cible (Multiple target-shaped periapical lesions)

Une femme caucasienne, de 41 ans, consulte en
chirurgie maxillofaciale sur les conseils de son
dentiste. Elle pre´sente un bombement vestibulaire
ferme et indolore en regard des dents 46–47, de
de´couverte fortuite lors d’une consultation de soins.
Les examens radiologiques montrent de tre`s nombreuses
masses pe´ri-apicales en cible cerne´es d’un haloradiotransparent.
Aucune mobilite´ dentaire n’est retrouve´e. Il
n’existe pas d’hypoesthe´sie dans le territoire du V3. Les
examens biologiques standards sont normaux, y compris
les taux sanguins de phosphore et de calcium. Une biopsie
sous anesthe´sie locale de la re´gion vestibulaire tume´fie´e
pose le diagnostic de le´sion fibro-osseuse sans plus de
pre´cision. La tomodensitome´trie montre des le´sions
mandibulaires pe´ri-apicales multiples pre´dominant
dans les territoires molaires, avec une pre´servation de
l’espace clair ligamentaire sur tout le pe´rime`tre radiculaire
(fig. 1).

 
A Tomodensitométrie avec reconstruction tridimensionnelle des maxillaires. Les lésions prédominent dans les territoires molaires. Le maxillaire
supérieur est épargné. B, C. Les régions molaires mandibulaires droites et gauches portent des lésions en cible avec halos pathognomoniques.
D. Tomodensitométrie de la dent 46, montrant la persistance de l’espace périodontal. Aucun contact direct entre la tumeur et l’apex n’est observésur tout
le périmètre radiculaire. E. Tomodensitométrie tridimensionnelle de la mandibule montrant des lésions en capuchon des apex molaires. 

Quel est votre diagnostic ? 
Réponse
Les données cliniques, histologiques et radiologiques amè-
nent à proposer le diagnostic de dysplasie osseuse, de type
dysplasie cémento-ossifiante (DCO). Un suivi clinique exclusif
est décidé.
Les lésions fibro-osseuses des maxillaires regroupent la dysplasie
fibreuse, les fibromes ossifiants (anciennement appelés fibromes cémento-ossifiants) et les dysplasies osseuses
(ICD-O : 9272/0), dont fait partie la DCO floride.
Le diagnostic différentiel entre la DCO et le fibrome ossifiant
(ICD-O : 9262/0, 9274/0) est parfois difficile. Dans notre cas,
les données histologiques n’étaient pas contributives [1] et
des arguments diagnostiques plus solides étaient fournis par
la clinique – la DCO touche d’abord les femmes d’aˆge muˆr –
et surtout par l’aspect radiologique. En effet, la présentation
radiologique de notre cas – des lésions péri-apicales multiples
en cible ou coalescentes, entourées d’un halo
radiotransparent – est pathognomonique de DCO et est
retrouvée dans 35 % des cas de cette affection [2]. Cependant,
l’origine caucasienne de la patiente est atypique, la
pathologie touchant préférentiellement les patientes originaires
d’Afrique noire.
L’origine de la DCO fait débat. Certains auteurs affirment
qu’elle est issue d’une activité anormale du ligament périodontal
[3], comme en témoigne sa localisation quasi exclusive
en zone dentée [2]. Cependant, la présence de lésions de
DCO dans des segments édentés de la mandibule est attestée [2]. Cette donnée permet uniquement d’affirmer que la
DCO persiste après la perte de la dent qui lui était associée.
Il est intéressant de noter que l’adhérence entre la tumeur et
l’apex doit en conséquence eˆtre faible.
Kawai et al. [2] définissent six présentations radiologiques
selon, entre autres critères, la conservation de l’espace clair
ligamentaire. Lorsque la lésion est en continuité avec l’apex,
ces auteurs l’attribuent a` une activitéligamentaire. En
revanche, s’il existe un halo entre la tumeur et l’apex, Kawai
et al. [2] avancent que l’os médullaire serait impliqué dans la
genèse de la pathologie.
Les classifications successives de l’OMS consacrées aux
tumeurs de la teˆte et du cou rangent initialement la DCO
dans la catégorie des « néoplasies et autres tumeurs en lien
avec l’appareil odontogénique » [4], puis dans le groupe des
« néoplasies et autres tumeurs en lien avec l’os » [5]. La
dernie`re classification de l’OMS la range dans le groupe des
« dysplasies osseuses » et lui attribue une origine ligamentaire
[6].
Dans le cas présenté ici, l’espace ligamentaire périodontal
des dents affectées était préservé sur tout le périmètre
radiculaire (fig. 1), ce qui serait en faveur d’une origine
médullaire. Il existe en effet des tumeurs extramaxillaires
pouvant produire du cément [7]. La formation de cément par
l’os médullaire périapical n’est pas démontrée et la persistance
de l’espace ligamentaire périodontal peut eˆtre le
résultat d’une migration des cémentoblastes vers l’os via
les canaux de Volkmann [2] ou la conséquence de troubles de
la différentiation entre ostéo- et cémentoblastes.
La production de cément par l’os médullaire serait un cas
intéressant d’anomalie de signalisation entre ostéoblastes et
cémentoblastes. L’èlucidation des mécanismes à l’origine de
la DCO permettrait de mieux comprendre l’activité physiologique
du ligament périodontal et ses interactions avec les
structures environnantes.

Lésion blanche de la muqueuse buccale

Observation du cas
Une femme âgée de 68 ans était suivie en stomatologie
depuis plus de 35 ans pour lésions gingivales chroniques. Plusieurs
extractions dentaires avaient été alors pratiquées.
L’anamnèse retrouvait la notion de lésions gingivales blanchâtres
lentement extensives, occasionnant une gêne à
l’alimentation, pour lesquelles elle avait rec¸u des traitements
symptomatiques sans aucune amélioration. La
patiente ne présentait pas d’antécédents pathologiques
notables, en particulier il n’y avait pas de notion de tabagisme.
L’examen de la cavité buccale relevait des lésions
blanchâtres verruqueuses, confluant en plaques à bords irréguliers,
atteignant de fac¸on diffuse la région antérieure de
la gencive inférieure et la face interne de la lèvre inférieure
jusqu’aux prémolaires (Fig. 1). Il n’y avait pas d’infiltration.
La langue et le palais étaient indemnes de toute lésion. Le
reste de l’examen cutanéo-muqueux était normal, en particulier
il n’y avait pas d’adénopathies cervicales.

  
figure1 
Quelles sont vos hypothèses
diagnostiques? 

Hypothèses du comité de rédaction
Les hypothèses du comité de rédaction ont été :
• un hamartome spongieux muqueux (white sponge naevus)
• une leucokératose acquise traumatique ;
• un lichen plan.
Commentaires
Notre patiente présente des lésions buccales chroniques,
résistantes à tous les traitements proposés. L’examen
retrouvait des plaques blanches à surface irrégulière de la
muqueuse gingivale et du versant muqueux de la lèvre inférieure.
Devant ce tableau clinique, les principaux diagnostics à
évoquer sont les leucokératoses acquises, comme les candidoses,
le lichen plan et les leucoplasies. Mais il n’y avait dans
cette observation aucun argument clinique ou paraclinique
permettant de retenir ces hypothèses.
L’interrogatoire ne retrouvait pas de notion de tabagisme
ou de déficit immunitaire acquis ou congénital et la
patiente rapportait l’échec de multiples traitements antifongiques
locaux et systémiques correctement conduits. Par
ailleurs, le grattage avec l’abaisse langue permettait de
détacher difficilement des grands lambeaux laissant apparaître
une muqueuse saine non érosive, pouvant éliminer une
lésion pseudomembraneuse (celle-ci se détache facilement
et laisse découvrir une érosion) et une leucokératose (qui ne
disparaît pas au grattage). L’examen clinique ne retrouvait
pas d’autres lésions cutanéomuqueuses. Les prélèvements
mycologiques étaient négatifs.
Bien qu’il s’agisse d’une patiente de 68 ans, on peut
également évoquer devant ce tableau les dyskératoses
congénitales et le diagnostic d’hamartome muqueux spongieux
(white sponge naevus) a été retenu, devant l’aspect
histologique, montrant une muqueuse buccale revêtue par
un épithélium malpighien acanthosique, papillomateux,
hyperkératosique avec des images de dyskératose monocellulaire.
Les cellules du corps muqueux étaient clarifiées
Figure 2. Épithelium acanthosique, papillomateux, avec dyskératose.
par un oedème marqué intra- et intercellulaire (Fig. 2).
L’immunofluorescence directe était négative.
La patiente a été traitée par cyclines par voie orale avec
une évolution partiellement favorable au bout de six mois
de traitement (Fig. 3).
Le white sponge naevus est une dyskératose congénitale
bénigne rare, autosomique dominante à pénétrance
et expressivité variable [1]. Il n’y a pas de prédilection
de sexe ni d’ethnie. Elle est causée par les mutations des
gènes exprimant les kératines suprabasales K4 et K13 [2—4].
Quelques cas sporadiques ont été décrits, comme c’est le
cas de notre patiente qui ne rapportait pas de cas familiaux.
Aucun facteur étiologique n’est retrouvé dans ce tableau
(ni traumatique, ni tabagique, ni infectieux). Les poussées
pourraient être déclenchées par la surinfection bactérienne
[5].
La lésion apparaît dès la naissance ou la première
enfance et augmente progressivement de taille jusqu’à
l’adolescence. Notre patiente rapporte une évolution lente,
depuis l’âge de 38 ans. Un début plus précoce est probable
mais méconnu par la patiente.
L’atteinte est souvent diffuse avec des plaques blanches,
à surface irrégulière, de consistance molle [1]. L’épaisseur
et la taille des plaques sont variables d’un sujet à l’autre et
peuvent varier dans le temps chez le même individu. Elles
siègent de préférence sur les muqueuses jugales, la langue,
les vestibules, le palais et le plancher buccal. Les autres
muqueuses (nasale, anale et vaginale) peuvent être affectée
s [1,6]. Il n’y a pas d’atteinte cutanée [1,7].
L’histologie reste un élément clé du diagnostic [7,8]. Elle
montre un épaississement de l’épithélium, une spongiose du
stratum spinosum, un défaut de kératinisation en surface et
une parakératose dans les couches les plus profondes. La
microscopie électronique est contributive dans les cas douteux,
montrant une répartition inégale des tonofilaments
dans le cytoplasme des kératinocytes [1,7].
Les autres dyskératoses congénitales comme la pachyonychie
congénitale (syndrome de Jadassohn-
Lewandowski), la dyskératose congénitale (syndrome
de Zinsser-Cole-Engman), la maladie de Darier peuvent
poser un problème de diagnostic différentiel [8]. 

   
Figure 2. Épithelium acanthosique, papillomateux, avec dyskératose. 
Figure 3. 
L’évolution est chronique sans transformation en carcinome.
Aucun traitement n’est habituellement indiqué,
mais devant le caractère malodorant et l’augmentation de
l’épaisseur de certaines plaques, divers traitements ont été
proposés avec un effet suspensif. Les tétracyclines en bains
de bouche [9,10] ou par voie générale [9] ont prouvé leur
efficacité dans quelques cas au moment des poussés comme
chez notre patiente.
Devant une lésion blanche de la cavité buccale, l’examen
histologique reste un moyen capital pour éliminer une lésion
précancéreuse et poser le diagnostic positif.

La résorption mandibulaire, une manifestation méconnue de la sclérodermie systémique

Summary
Mandibular resorption, an underdiagnosed manifestation
of systemic scleroderma
Introduction > Systemic sclerosis (SSc) is sometimes associated with
bone resorption that can reach the mandible.
Cases > We report here the cases of two women (aged 47 and
57 years) with SSc diagnosed 13 and 26 years earlier, respectively.
Both presented marked mandibular bone resorption. The first had
prominent interstitial lung disease, and the second, who died within
a few months, had severe left ventricular dysfunction due to SSc.
Discussion > Mandibular resorption is a rare but probably underdiagnosed
manifestation of SSc. In addition to its esthetic effects, it can
cause severe disability.

Résumé
Introduction > La sclérodermie systémique (ScS) est parfois associée
à la survenue de phénomènes de résorption osseuse pouvant toucher
la mandibule.
Observations > Nous rapportons deux observations de ScS diffuse
sévère avec résorption mandibulaire bilatérale. Il s’agissait de
2 femmes âgées respectivement de 47 et 57 ans ayant une maladie
évoluant depuis 13 et 26 ans lors de la mise en évidence des lésions
mandibulaires. La première avait une atteinte interstitielle pulmonaire
prédominante et la seconde une atteinte ventriculaire gauche liée à sa
sclérodermie qui a entraîné le décès dans un délai de quelques mois.
Discussion > La résorption mandibulaire est une manifestation rare
de la ScS, dont l’incidence est probablement sous estimée. En plus du
retentissement esthétique, cette atteinte est susceptible d’entraîner
une gêne fonctionnelle sévère. 

La sclérodermie systémique (ScS) est une affection caractérisée
par la survenue de lésions de fibrose intéressant principalement
la peau et le parenchyme pulmonaire et par l’existence
d’une vasculopathie responsable d’un syndrome de
Raynaud associé parfois à une hypertension artérielle pulmonaire
(10 à 14 % des cas) [1] ou à une crise rénale (10 % des
cas) [2]. En fonction de l’étendue des lésions cutanées, on
sépare les formes cutanées limitées, où la sclérose cutanée est
uniquement distale, correspondant à ce que l’on appelait
autrefois le Crest syndrome, et les formes cutanées diffuses,
correspondant à une atteinte cutanée intéressant la partie
proximale des membres, la face, le cou et quelquefois le tronc
[3]. Dans les formes diffuses de la maladie, les atteintes viscérales
sont fréquentes, l’atteinte interstitielle pulmonaire est
la plus fréquente [3].
L’atteinte du visage est également fréquente au cours de la
ScS, associant des lésions de sclérose cutanée, des télangiectasies,
un amincissement voire un effacement des lèvres,
l’existence de plis radiés péribuccaux, et une diminution de
l’ouverture buccale. La survenue d’une résorption de la mandibule,
pouvant être à l’origine d’une gène esthétique et fonctionnelle
marquée, est encore peu connue. Nous en rapportons
deux observations.
Observations
Observation 1
Une femme de 47 ans, née au Maroc, ayant une ScS diffuse,
compliquée d’une polyarthrite, d’un reflux gastro-oesophagien,
et d’une atteinte interstitielle pulmonaire évoluant depuis l’âge
de 34 ans a été hospitalisée dans le contexte d’une aggravation
de sa maladie. L’atteinte interstitielle pulmonaire évoluait
depuis au moins 8 ans (elle n’avait pas été recherchée à la
phase initiale de la maladie). Du fait d’une dégradation des
épreuves fonctionnelles respiratoires, elle avait été traitée deux
ans auparavant par 12 bolus de cyclophosphamide intraveineux
à la dose de 0,6 g/m2 relayés par de 100 mg/j d’azathioprine
per os en association à 10 mg/j de prednisone. 

Encadré
Évaluation de la fibrose cutanée 
Le score Rodnan évalue la fibrose cutanée en 17 points du corps:
0: peau de texture et d'épaisseur normale
1: peau épaissie restant plissable
2: peau épaissie non plissable
3: peau épaissie et figée sur les plans profonds 

  
La résorption mandibulaire est responsable d’une gêne
esthétique marquée 
À l’entrée, la patiente avait des lésions cutanées étendues qui
intéressaient le tronc, le visage et les membres, avec un score
de Rodnan modifié à 36 (encadré). La patiente avait perdu plusieurs
dents depuis le début de l’évolution de la maladie.
L’ouverture buccale était diminuée à 22 mm entre les arcades
dentaires. Il existait une infiltration scléreuse du visage et du
cuir chevelu avec une alopécie, des télangiectasies, des zones
dépigmentées et une encoche au niveau de l’angle mandibulaire
qui n’était pas présente deux ans auparavant (figure 1).
La recherche d’anticorps anti-Scl 70 était positive. La patiente
avait une atteinte osseuse avec une résorption des houppes
des phalanges des trois premiers doigts de la main droite. Les
radiographies de la mandibule montraient une résorption marquée
des 2 angles mandibulaires (figure 2). Il n’a pas été mis
en évidence d’élargissement du ligament alvéolo-dentaire.
Observation 2
Une femme de 57 ans avait une ScS évoluant depuis 26 ans. Elle
avait un syndrome de Raynaud sévère, des lésions cutanées diffuses,
des ulcérations chroniques et une polyarthrite ayant
nécessité un traitement par 10 mg/semaine de méthotrexate
en association à 5 mg/j de prednisone. Après 25 ans d’évolution,
la patiente a développé une insuffisance ventriculaire
gauche. Les lésions du visage étaient importantes avec une limitation
de l’ouverture buccale à 19 mm, une infiltration scléreuse
de la face et du cuir chevelu, des télangiectasies profuses. Le
score de Rodnan modifié était à 48. Elle avait de plus de multiples
ulcères du scalp, des télangiectasies et une dépression
importante au niveau de l’angle de la mandibule qu’elle n’était
pas capable de dater précisément mais qui remontait à plus de

  
Clichés mandibulaires de profil
Résorption de l’angle et de la branche montante de la mandibule de la patiente 1 (A) et de la patiente 2 (B) (flèches). 
3 ans. Plusieurs dents étaient mobiles en rapport avec l’élargissement
du ligament alvéolo-dentaire. La recherche d’anticorps
anti-Scl 70 était positive. Les radiographies de la mandibule trouvaient
une résorption osseuse marquée des deux angles mandibulaires
et des lésions d’arthrose de l’articulation temporomandibulaire.
La patiente est décédée après six mois dans un
contexte de décompensation cardiaque globale.
Discussion
Nous rapportons deux observations de ScS diffuse sévère avec
résorption mandibulaire bilatérale.
La ScS est à l’origine d’une diminution de la survie et d’une incapacité
fonctionnelle marquée. Au cours de cette affection, l’atteinte
du visage est fréquente et peut être responsable d’une
gène esthétique et fonctionnelle. Parmi les différents facteurs
qui y contribuent, existent les lésions de sclérose cutanée,
l’amincissement ou l’effacement des lèvres, les télangiectasies,
la diminution de l’ouverture buccale, et plus rarement des phénomènes
de résorption de la mandibule.
Depuis la première description par Taveras en 1959 [4], à notre
connaissance, 57 cas de résorption mandibulaire ont été rapportés
au cours de la ScS [5]. Dans les études disponibles il n’y
a pas de relation établie entre la résorption mandibulaire et le
type de ScS, l’existence d’une atteinte viscérale, la durée d’évolution
de la maladie ou la survenue de lésions de résorption
osseuse dans d’autres territoires [6-9].
Les patients ayant des résorptions mandibulaires ont le plus souvent
des lésions de sclérose cutanée marquées au niveau du
visage et une limitation de l’ouverture buccale [6, 10]. Wood et
Lee [10] ont mis en évidence une corrélation positive entre
l’existence d’un amincissement de la membrane péri-odontale
et la survenue d’une résorption mandibulaire. Cependant,
d’autres études ont rapporté des résultats contradictoires sur ce
point [6, 8]. Il n’y a pas d’éléments prédictif de la survenue
d’une résorption mandibulaire au cours de la ScS. Il semble
cependant que la sévérité de l’atteinte cutanée et l’amincissement
de la membrane péri-odontale soient souvent retrouvés
en présence d’une résorption mandibulaire, comme chez
nos 2 patientes.
La physiopathologie de la résorption mandibulaire est incertaine.
Elle pourrait être la conséquence de lésions d’ostéonécrose
résultant d’une compression des vaisseaux par la peau scléreuse
et inextensible et/ou d’anomalies microvasculaires des muscles
s’insérant sur la mandibule [11]. La responsabilité potentielle de
la corticothérapie, prescrite à faible dose au long cours chez nos
deux patientes doit être discutée. Seule la patiente 2 avait reçu
une corticothérapie à forte dose (1 mg/kg/j) plusieurs années

auparavant. Jusqu’à présent, la corticothérapie n’a cependant
pas été incriminée dans la survenue de phénomènes de résorption
mandibulaire.
Les lésions de résorption osseuse intéressent le plus souvent
l’angle mandibulaire, les condyles ou l’apophyse coronoïde et
plus rarement le bord postérieur de la branche montante [5]. La
fréquence de la résorption mandibulaire est probablement sous
estimée: ainsi, les analyses radiographiques systématiques de
petites séries trouvent une prévalence de 9,5 % à 33 % [6-10,
12]. Le dépistage radiologique systématique de telles lésions
chez les patients sclérodermiques n’ayant pas de douleur de l’articulation
temporo-mandibulaire ou de trouble de l’articulé dentaire
est cependant probablement inutile, n’entraînant pas de
conséquence pratique.
Ainsi, la résorption de l’angle mandibulaire entraîne avant
tout, un retentissement esthétique avec apparition d’une
dépression à l’endroit du relief de l’angle mandibulaire
comme dans le cas de nos deux patientes. La résorption
condylienne peut conduire à la survenue d’une asymétrie de
l’ouverture buccale, d’un trouble de l’articulé dentaire, de douleurs
et de craquements lors de la mobilisation de l’articulation
temporo-mandibulaire [11]. La résorption de l’angle mandibulaire
peut, plus rarement, entraîner une névralgie du
trijumeau [13].
À notre connaissance, aucune prise en charge chirurgicale à
visée esthétique des résorptions de l’angle mandibulaire n’a été
proposée. En revanche, un traitement chirurgical de lésions
condyliennes peut être indiqué, permettant d’améliorer l’articulé
dentaire [5, 14]. Cependant, il est possible d’observer des
récidives après chirurgie [15].
La résorption mandibulaire au cours de la sclérodermie n’est pas
exceptionnelle et peut être invalidante aux plans fonctionnel et
esthétique. Cette atteinte n’est pas corrélée à la sévérité, la
forme ou la durée de la maladie.

mardi 22 mai 2012

La dysplasie fibreuse

CAS CLINIQUE
Un jeune patient de 11 ans, d’origine bulgare, présente
une tuméfaction de l’hémi-maxillaire droit, évoluant
depuis environ 6 ans (fig. 1 et 2). Ce jeune garçon, qui ne
présente par ailleurs aucun antécédent particulier, ne
signale pas de douleur liée à la tuméfaction. La biologie
est normale. Un scanner du massif facial montre une
lésion de l’hémi-maxillaire droit, se prolongeant au niveau
des cadres osseux des sinus maxillaires et correspondant
probablement à une dysplasie fibreuse (fig. 3 et 4). Une
biopsie de la masse confirme histologiquement ce diagnostic.
Vu le jeune âge du patient, le caractère bénin de la
tumeur et sa lente évolution, l’abstention thérapeutique
est proposée, avec une surveillance semestrielle. Un an
plus tard, on constate une évolution importante avec un
doublement de la taille de la lésion, une déviation du centre
inter-incisif et des troubles occlusaux majeurs. Le scanner
avec reconstruction 3D confirme cette évolution avec
un effet de masse modéré au niveau de l’orbite.

  Figure 1 : Patient vu de face ; perturbation du plan occlusal.
 
 Figure 2 : Vue intrabuccale de la lésion.
Figure 3 : Tomodensitométrie en coupe coronale.
Figure 4 : Reconstruction 3D. 

QUEL TRAITEMENT PROPOSEZ-VOUS ? 
 RÉPONSE
La dysplasie fibreuse ou maladie de Jaffe-Lichtenstein est
une entité clinique décrite pour la première fois en 1891
par von Recklinghausen. L’ostitis fibrosa désigne alors une
lésion osseuse au sein de laquelle la médullaire est remplacée
par du tissu fibreux. En 1937, Albright et al. parlent
d’ostitis fibrosa generalisata pour nommer l’association
de lacunes osseuses polyostotiques, de troubles endocriniens
sexuels et d’une pigmentation cutanée. En 1938,
Lichtenstein définit cette association clinique sous le terme
de « dysplasie fibreuse polyostotique ».
La dysplasie fibreuse est donc une tumeur osseuse (certains
auteurs la considèrent néanmoins comme une affection
d’étiologie malformative), rare (2,5 % des tumeurs
osseuses et 7 % des tumeurs osseuses bénignes) [1, 2],
qui se localise préférentiellement au niveau des os longs
(métaphyse et diaphyse), du pelvis, de l’épaule, des os de
la face et du crâne. La lésion de la dysplasie fibreuse consiste
en le remplacement du tissu osseux par du tissu
fibreux [3].
On distingue 3 types de dysplasie : la forme monostotique,
la plus fréquente (70 %), la forme polyostotique,
plus agressive et le syndrome de McCune et Albright, plus
rare, et qui associe des lésions de dysplasie polyostotique,
des manifestations cutanées (tâches café au lait) et des
désordres endocriniens (puberté précoce, croissance accélérée,
goitre et hyperparathyroïdie…) [3, 4].
Cliniquement on observe des déformations osseuses
parfois responsables d’injures esthétiques ou même de
fractures. L’atteinte de la sphère cranio-faciale mérite une
attention particulière en raison de l’atteinte possible des
structures nobles qui la composent : nerf optique, organe
de l’audition, troubles de l’occlusion, troubles respiratoires
par atteinte des fosses nasales, atteinte de la base du
crâne [5]…
Le pronostic des lésions de dysplasie est généralement
bon en raison de la tendance à la stabilisation lors de
l’arrêt de la croissance osseuse. Il existe un très faible
pourcentage de transformation maligne (0,5 à 4 %) en
ostéosarcome, chondrosarcome ou fibrosarcome, et il
apparaît que 50 % des patients souffrant de transformation
maligne ont reçu une radiothérapie dans le cadre
d’un traitement précoce de la dysplasie.
Pour décider du traitement proposé au patient, le praticien
devra évaluer la gravité de la pathologie en tenant
compte des complications possibles (endocriniennes, neurologiques,
traumatologiques…), de l’aspect radiologique
des lésions, de l’augmentation des phosphatases alcalines
et de la densité osseuse qui reflète l’efficacité d’un éventuel
traitement médicamenteux préalable.
Le traitement peut être médical et/ou chirurgical.
D’un point de vue médical, l’administration de biphosphonate
a prouvé son efficacité dans la diminution de
l’intensité des douleurs et des marqueurs biochimiques
relatifs au turnover osseux, et une certaine diminution des
sites ostéolytiques à la radiographie (chez 50 % des
patients) [5, 6]. Ce traitement est toutefois peu utilisé
chez les enfants en croissance en raison du peu d’expérience
clinique à ce sujet.
Le traitement chirurgical, quant à lui, sera le plus souvent
conservateur (ostéotomie modelante), s’avérant
satisfaisant d’un point de vue esthétique et suffisant lorsque
les lésions progressent lentement et ne menacent pas
des structures anatomiques importantes. C’est l’attitude
thérapeutique la plus largement proposée dans la littérature
pour cette pathologie.
Certains auteurs préconisent cependant des résections
larges, à visée curative, mais responsables de déficits
esthétiques majeurs et pas toujours suivies de rémissions
complètes [7].
Le patient présenté a bénéficié d’une intervention chirurgicale
consistant en une ostéotomie modelante qui s’est
avérée très satisfaisante tant du point de vue esthétique
que fonctionnel [5, 8].