mercredi 23 mai 2012

Le´sions pe´ri-apicales multiples en cible (Multiple target-shaped periapical lesions)

Une femme caucasienne, de 41 ans, consulte en
chirurgie maxillofaciale sur les conseils de son
dentiste. Elle pre´sente un bombement vestibulaire
ferme et indolore en regard des dents 46–47, de
de´couverte fortuite lors d’une consultation de soins.
Les examens radiologiques montrent de tre`s nombreuses
masses pe´ri-apicales en cible cerne´es d’un haloradiotransparent.
Aucune mobilite´ dentaire n’est retrouve´e. Il
n’existe pas d’hypoesthe´sie dans le territoire du V3. Les
examens biologiques standards sont normaux, y compris
les taux sanguins de phosphore et de calcium. Une biopsie
sous anesthe´sie locale de la re´gion vestibulaire tume´fie´e
pose le diagnostic de le´sion fibro-osseuse sans plus de
pre´cision. La tomodensitome´trie montre des le´sions
mandibulaires pe´ri-apicales multiples pre´dominant
dans les territoires molaires, avec une pre´servation de
l’espace clair ligamentaire sur tout le pe´rime`tre radiculaire
(fig. 1).

 
A Tomodensitométrie avec reconstruction tridimensionnelle des maxillaires. Les lésions prédominent dans les territoires molaires. Le maxillaire
supérieur est épargné. B, C. Les régions molaires mandibulaires droites et gauches portent des lésions en cible avec halos pathognomoniques.
D. Tomodensitométrie de la dent 46, montrant la persistance de l’espace périodontal. Aucun contact direct entre la tumeur et l’apex n’est observésur tout
le périmètre radiculaire. E. Tomodensitométrie tridimensionnelle de la mandibule montrant des lésions en capuchon des apex molaires. 

Quel est votre diagnostic ? 
Réponse
Les données cliniques, histologiques et radiologiques amè-
nent à proposer le diagnostic de dysplasie osseuse, de type
dysplasie cémento-ossifiante (DCO). Un suivi clinique exclusif
est décidé.
Les lésions fibro-osseuses des maxillaires regroupent la dysplasie
fibreuse, les fibromes ossifiants (anciennement appelés fibromes cémento-ossifiants) et les dysplasies osseuses
(ICD-O : 9272/0), dont fait partie la DCO floride.
Le diagnostic différentiel entre la DCO et le fibrome ossifiant
(ICD-O : 9262/0, 9274/0) est parfois difficile. Dans notre cas,
les données histologiques n’étaient pas contributives [1] et
des arguments diagnostiques plus solides étaient fournis par
la clinique – la DCO touche d’abord les femmes d’aˆge muˆr –
et surtout par l’aspect radiologique. En effet, la présentation
radiologique de notre cas – des lésions péri-apicales multiples
en cible ou coalescentes, entourées d’un halo
radiotransparent – est pathognomonique de DCO et est
retrouvée dans 35 % des cas de cette affection [2]. Cependant,
l’origine caucasienne de la patiente est atypique, la
pathologie touchant préférentiellement les patientes originaires
d’Afrique noire.
L’origine de la DCO fait débat. Certains auteurs affirment
qu’elle est issue d’une activité anormale du ligament périodontal
[3], comme en témoigne sa localisation quasi exclusive
en zone dentée [2]. Cependant, la présence de lésions de
DCO dans des segments édentés de la mandibule est attestée [2]. Cette donnée permet uniquement d’affirmer que la
DCO persiste après la perte de la dent qui lui était associée.
Il est intéressant de noter que l’adhérence entre la tumeur et
l’apex doit en conséquence eˆtre faible.
Kawai et al. [2] définissent six présentations radiologiques
selon, entre autres critères, la conservation de l’espace clair
ligamentaire. Lorsque la lésion est en continuité avec l’apex,
ces auteurs l’attribuent a` une activitéligamentaire. En
revanche, s’il existe un halo entre la tumeur et l’apex, Kawai
et al. [2] avancent que l’os médullaire serait impliqué dans la
genèse de la pathologie.
Les classifications successives de l’OMS consacrées aux
tumeurs de la teˆte et du cou rangent initialement la DCO
dans la catégorie des « néoplasies et autres tumeurs en lien
avec l’appareil odontogénique » [4], puis dans le groupe des
« néoplasies et autres tumeurs en lien avec l’os » [5]. La
dernie`re classification de l’OMS la range dans le groupe des
« dysplasies osseuses » et lui attribue une origine ligamentaire
[6].
Dans le cas présenté ici, l’espace ligamentaire périodontal
des dents affectées était préservé sur tout le périmètre
radiculaire (fig. 1), ce qui serait en faveur d’une origine
médullaire. Il existe en effet des tumeurs extramaxillaires
pouvant produire du cément [7]. La formation de cément par
l’os médullaire périapical n’est pas démontrée et la persistance
de l’espace ligamentaire périodontal peut eˆtre le
résultat d’une migration des cémentoblastes vers l’os via
les canaux de Volkmann [2] ou la conséquence de troubles de
la différentiation entre ostéo- et cémentoblastes.
La production de cément par l’os médullaire serait un cas
intéressant d’anomalie de signalisation entre ostéoblastes et
cémentoblastes. L’èlucidation des mécanismes à l’origine de
la DCO permettrait de mieux comprendre l’activité physiologique
du ligament périodontal et ses interactions avec les
structures environnantes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire